Si les acteurs associatifs et étatiques organisent chaque année des opération de nettoyage, des lanceurs d’alerte ont réussi à faire de la pollution un débat public.
C’est un vendredi après-midi habituel. Sur une plage de Mostaganem, un groupe de jeunes s’installe sur le sable, glacières, thermos de café, parasols, et ballons de foot sous le bras. Au bout de quelques heures, alors que le soleil est au zénith, plusieurs d’entre eux se lèvent et ramassent des bouteilles en plastique qui jonchent le sol par endroits. Couches, sac plastiques, boites de conserves, en une heure, ils ont rempli quatre gros sacs. Une jeune femme en maillot de bain noir s’emporte : «Mais c’est pas possible tout ce plastique!». Une autre la rassure : «En nous voyant nettoyer, au moins, les autres familles ne jetteront pas leurs déchets». Un de leur ami interrompt sa partie de football en riant : «Parce que vous croyez ça? Ça fait des années qu’il y a des campagnes de nettoyage des plages, et rien ne change!»
Pourtant ce jour là, si ces étudiants et leurs amis ont ramassé des ordures qui n’étaient pas les leurs, c’est grâce au travail d’un homme : Amar Adjili. Ce quarantenaire, franco-algérien n’était pas sur la plage de Mostaganem, mais depuis plus d’un an, il est un héros des réseaux sociaux. En avril 2015, Amar, barbe et grands yeux noirs, sourire timide, se rend sur la plage de Tipaza, célèbre ville à l’ouest d’Alger, où persistent des ruines romaines et où l’écrivain français Albert Camus a écrit. La plage est recouverte d’ordures. «Un an plus tard, j’ai acheté des sacs poubelles et des gants, et j’ai commencé à ramasser», raconte-t-il. Amar poste des vidéos des ordures ramassées sur Facebook. Une petite poignée de volontaires vient lui prêter main forte pendant l’été 2016. Un an plus tard, après avoir nettoyé toute la plage, il s’attaque à la forêt de Yakouren, près de Tizi Ouzou. Là aussi, il publie photos et vidéos sur les réseaux sociaux, et lance des appels à la mobilisation citoyenne pour nettoyer. «Aujourd’hui, il y a de plus en plus de mobilisation, plus de groupes sur Facebook, plus d’associations qui me contactent. La sensibilisation commence à se faire, mais il y a encore du travail», estime-t-il. «Nettoyer est devenu à la mode. Il y a de nombreuses associations de nettoyage qui font un événement chaque année, mais il faut attaquer la cause : nous salissons l’environnement», nuance Farid Adjoud, de l’association d’éducation à l’environnement Axxam N’dda Ali, qui est à l’origine de la campagne de nettoyage de la forêt de Yakouren avec Amar Adjili.
«Nettoyer n’est pas votre travail»
Car l’Algérie est un pays où la préservation de l’environnement semble, en apparence une préoccupation associative et étatique. L’opération «Les éboueurs des plages» est très médiatisée chaque été, et depuis deux ans, un nombre important de plages des grandes villes ont été équipées de poubelles. Enfin, depuis le remaniement ministériel avant l’été, l’environnement devient un portefeuille ministériel à part entière.
Sauf que les choses ne sont pas si roses. Depuis plus d’un an, Amar Adjili a vu de nombreux acteurs officiels avoir des comportements incompatibles avec la protection de l’environnement. «Sur les plages, j’ai vu des camions d’APC (autorités communales), faire des trous dans le sol et enfouir les ordures, des agents brûler des tas de déchets», raconte-t-il. Un jour, alors qu’il attend un ami devant le plus grand hôpital d’Alger, il constate que des poubelles de l’hôpital sont jetées autour du bâtiment, sans aucune précaution. «Je voyais des bistouris et des seringues voler par la fenêtre». Alors qu’il veut filmer la scène, il est arrêté par un agent de sécurité et finit au poste de police. Le commissaire lui lancera : «Nettoyer n’est pas votre travail, il y a une entreprise de nettoyage». Au 1er étage de la maison qui fait office de siège à Axxam n’dda Ali, Amar et Farid sont assis autour d’un mobilier recyclé d’école primaire. Un rideau aux rayures bleues protège un peu du soleil. Ils font le pari de ramasser un million de bouteilles en verre pendant l’opération de nettoyage de la foret de Yakouren. «Tant qu’il y aura des ordures, je continuerai à ramasser, assure Amar. Ce qui me révolte, c’est qu’on s’est habitué à vivre au milieu des poubelles».
Réseau de petites associations locales
Sur les réseaux sociaux algériens, un deuxième homme fait figure de lanceur d’alerte. Karim Tedjani n’aime pas être qualifié de militant écologiste, mais il veut «faire un lien pertinent, entre l’écologie scientifique, qui aspire à être la plus objective possible, et le discours de l’écologisme, plus émotionnel voir propagandiste». Investit dans les questions environnementales depuis plus de dix ans, il anime un blog renommé dans le milieu des protecteurs de l’environnement, «Nouara Algérie». Pas d’association, ni d’entreprise, mais un travail assez solitaire : «Mon réseau s’étend dans plus de trente wilayas (régions administratives), en partenariat avec des associations locales. J’estime que ma principale action en Algérie est justement de créer des ponts entre tous ces gens, mais aussi de témoigner de manière plus globale à propos de cette somme d’actions sur le terrain local», résume-t-il. Depuis un an, Karim est l’un des initiateurs d’un programme de plantation pédagogique d’arbres. A l’aide d’un livre, il a poussé des centaines d’enfants à planter un millier d’arbre. «La prise de conscience des Algériens à propos de leur environnement ne cesse de progresser. Depuis 2009, je voyage d’un bout à l’autre du Littoral, mais aussi des Haut Plateaux. Les choses ont beaucoup évolué, tant sur le terrain que dans les mentalités», atteste-t-il. Pourtant, les initiatives semblent rester l’œuvre de petits collectifs peu connus. «Le dialogue médiatique ou politique entre la société civile et les gouvernants se résume à «cause toujours!»», constate Karim Tedjani amèrement.
Photo : Abdo Shanan / Collective 220